mercredi 14 décembre 2011

La notion de cachet - beaucoup d'inconnues dans l'équation !


Le cachet est un mode de rémunération forfaitaire en paiement d’une représentation ou d’une répétition, exclusivement réservé aux artistes. Sa caractéristique principale est d'ignorer, sinon dans le montant du cachet ET la capacité de négociation de l'artiste face au donneur d'ordre, le temps de travail nécessité par la ou les prestations prévues. Cela se traduit par l'absence d'horaires de travail sur le C4 (le document remis par l'employeur à l'artiste à la fin de son engagement, et qui doit être remis à l'Onem (l'Administration chargée de l'octroi des allocation de chômage). L'Onem confirme: "le cachet s'explique par l’absence de lien direct entre le nombre d’heures de travail et la rémunération".


Rappelons que la rémunération au cachet est - de loin - antérieure à la réglementation du chômage: on peut remonter de deux siècles au moins !


Ce mode de paiement semble historiquement réservé aux artistes, en tous cas dans ses conséquences en matière de chômage et particulièrement eu égard aux conditions d'ouverture des droits.  En Belgique, l'ouverture des droits à une allocation de chômage est fonction d'un nombre de jours (pour faire rapide, en France, en fonction d'un nombre d'heures) de travail rémunéré et soumis à cotisations sociales.


J'en profite pour tordre le cou à une rumeur persistante: aucune facture pour vente d'oeuvre ou louage de services n'est pris en compte en la matière. Il faut que les ressources financières perçues par facture soient transformées en même temps ou en second temps en salaire !


Cette modalité de paiement n'est pas si simple dans son fondement et ses conséquences qu'il n'y paraît.


Remarquons d'abord qu'un élément au moins doit faire l'objet d'une spécification temporelle: la prestation est définie dans le temps (et dans un lieu), dates et horaires à la clé ! En outre un engagement au "cachet" peut porter contractuellement sur une période (un nombre de jours) d'occupation couvrant une ou plusieurs prestations.


L'article 10 de l'AM du 26/11/0991 (réglementation chômage) prévoyant de compter pour une journée entière, toute journée de travail pour une prestation d'un artiste musicien ou d'un artiste du spectacle inférieure à 5,77h à condition que la rémunération atteigne un certain seuil (aux alentours des 37,6€aujourd'hui):
Pour l'artiste-musicien et l'artiste du spectacle, une prestation journalière de travail de moins de 5,77 heures est prise en considération comme une journée de travail si la rémunération brute perçue est au moins égale à 1/26ième  [d'un salaire de base] lié à l'indice-pivot 103,14 en vigeur le 1er juin 1999 (base 1996 = 100) 


Pourquoi dès lors le cachet existe-t-il ? Tous les éléments sont là pour qu'une prestation (publique ou en répétition) fasse l'objet d'un engagement de courte durée avec horaire, faisant compter ladite prestation pour un jour de travail, quand bien même elle se bornerait à 1h30 de plateau !


La convention collective de travail "arts de la scène" du 29 janvier 2009 nous met la puce à l'oreille. le descriptif des fonctions sous la rubrique "artiste" prévoit, sous l'onglet "domaines de résultats essentiels", un vaste champ de travail qui manifestement ne rentre quasi jamais (sinon pour des artistes engagés sur de longues, très longues périodes, ou en CDI) dans la période de travail rémunéré, au cachet ou non.
" - analyser individuellement, s'exercer, participer à et étudier les pièces à interpréter de manière à ce que les répétitions qui s'ensuivent se déroulent optimalement ...
- entretenir le matériel exigé (instrument, voix, condition physique, etc.) ...
- suivre les développements et veiller à se perfectionner et/ou à se recycler en permanence ..."


Les artistes musiciens savent que pour une prestation publique, ce sont parfois plusieurs répétitions qui seront nécessaires et dont le donneur d'ordre n'a pas à se soucier, celui-ci n'ayant d'autre horizon que celui de la prestation publique. Et cela vaut pour nombre de comédiens auto-produisant leur spectacle et ne pouvant dans les plus nombreux cas compter que sur les ressources de vente de leur spectacle pour se rémunérer... etc. etc.


Notons au passage que l'Onem interdit de manière générale le cumul d'une allocation journalière de chômage et de toute activité vous rendant indisponible sur le marché du travail.


La rémunération au cachet est simplement une "bonne affaire" pour l'employeur qui peut ainsi rémunérer une prestation sur la seule base de la "valeur sur le marché d'un artiste (sa notoriété)", et non sur le temps de travail nécessité réellement par la dite prestation, un temps de travail qui devrait alors faire l'objet évidemment d'un salaire horaire barémisé ! Il est curieux que la convention collective "doublage" soit la seule à ma connaissance à officialiser le mode de rémunération au cachet ... Serait-ce parce que ce secteur s'est développé en Belgique à l'initiative souvent de comédiens. J'aimerais connaître les motivations des représentants syndicaux qui les ont amenés à accepter là ce qu'ils ont refusé d'officialiser et barémiser partout ailleurs (audiovisuel, spectacle, etc.).


Soyons de bon compte: ce mode de rémunération permet également à nombre de petites compagnies ou de collectifs de musiciens de bénéficier a minima d'un contrat d'emploi pour la prestation publique, à défaut de pouvoir rémunérer l'ensemble du travail fourni. Il est de notoriété publique que nombre de subventions de la Fédération Wallonie Bruxelles (exemples: le plafond d'une subvention théâtre pour un premier projet, ou les subventions de diffusion type "Art et Vie") ne permettent pas de rémunérer la totalité du travail nécessité par l'objet même de la subvention.


En outre, ce temps de travail excédentaire par rapport à la durée de la ou des prestations est relativement inquantifiable a priori, et sa répartition dans un calendrier tout aussi imprévisible: il n'y a en la matière que des cas singuliers, des pratiques personnelles, des contraintes conjoncturelles.


Pour finir, le cachet devrait (mais est-ce le cas compte tenu du rapport de forces défavorable aux artistes sur le marché du travail) permettre le cas échéant de mutualiser sur plusieurs donneurs d'ordre l'investissement temps nécessité par un projet donné (le temps de la création d'un artiste autonome, donc non rémunéré pour ce temps).


Tant que le législateur ne fera pas un effort de cohérence autour de la notion du cachet, dans un sens ou un autre, l'insécurité juridique des artistes eu égard à la réglementation de l'Onem restera suspendue au-dessus de la tête des artistes comme une lame tranchante ! Notre zoo s'est enrichi d'une chimère ...


Dans l'arrêté ministériel portant sur la réglementation du chômage du 26 novembre 1991 (tel que modifié par divers arrêtés depuis), nous trouvons aux articles 10, 11 deux articles qui servent de socle (bien effrité) à la pratique actuelle de l'Onem.
J'ai déjà cité l'article 10 supra.


Voici l'article 11:

Pour le bûcheron rémunéré à la tâche, le nombre de journées de travail est obtenu en divisant la rémunération brute perçue pendant la période de référence par 11,65 EUR. Le quotient obtenu est arrondi à l'unité supérieure. Le nombre de journées de travail ainsi obtenu ne peut dépasser le nombre de jours, dimanches exceptés, compris dans la période d'occupation.


La pratique actuelle de l'Onem consiste à interpréter favorablement ces deux articles en les mixant dans un dispositif tout à fait instable (son interprétation de la loi est pour le moins large !): la rémunération d'un artiste musicien ou de spectacle sera divisé par un salaire journalier de référence afin d'obtenir un équivalent nombre de jours de travail, servant de base à la réglementation relative à l'ouverture du droit à une allocation de chômage, basée elle sur un nombre de jours de travail. Et ce, sans limitation du nombre ainsi obtenu par la "transformation du bûcheron" (confirmé par la circulaire du 6 octobre 2011 de l'Onem).


Je dis bien: interprétation favorable, pour deux raisons: la loi ne prévoit pas d'étendre la règle du bûcheron aux artistes musiciens et de spectacle; la règle du bûcheron porte une limite (référence à la période d'occupation.


Je n'ai pas trouvé confirmation dans les textes de ce que j'avance, mais il semble bien que la période d'occupation du bûcheron ne peut être cumulée avec une allocation d'attente (en toute logique, puisqu'il est indisponible sur le marché du travail pendant toute cette période).


Il est étrange que l'article 12 ne soit pas utilisé pour les (ou certains) artistes:

Pour le travailleur à domicile qui perçoit un salaire à la pièce ou à la tâche, le nombre de journées de travail est obtenu en divisant la rémunération brute dont il est tenu compte pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, secteur chômage, perçue pendant la période de référence, par 1/26ième du salaire mensuel de référence visé à l'article 5. Le quotient obtenu est arrondi à l'unité supérieure.
Le nombre de journées de travail ainsi obtenu ne peut cependant pas dépasser le nombre de jours, dimanches exceptés, compris dans la période pendant laquelle le travailleur à domicile est lié par un contrat de travail, diminué des journées assimilées prises en compte pour cette période.


In fine, seul l'artiste musicien ou de spectacle - et je rappelle qu'il s'agit d'une interprétation favorable qui peut être remise en question à tout moment par l'Onem et de sa seule autorité, se voit appliquer la "transformation du bûcheron" (transformation d'un salaire en équivalent jours de travail) sans limitation du nombre de jours ainsi obtenu (exception à l'article 7).


Question: pourquoi l'Onem n'assume pas cette torsion des articles 10 et 11 jusqu'au bout, en accordant ce dispositif à tous les artistes ?... Sa propre argumentation n'est pas cohérente:il refuse l'application de ce dispositif aux artistes créateurs au prétexte que "le mode de rémunération doit être inhérent à la nature du travail" ?... On se demande aussi pourquoi l'Onem justifie ce dispositif au titre de l'article 10, qui n'a rien à voir avec cela, plutôt qu'en se référant aux articles 11 et 12.


Autre question: pourquoi ne pas étendre cette transformation partout où le nombre de jour sert de base à un calcul pour l'Onem, et pas seulement pour l'admissibilité ?


La conséquence pratique en est immédiate: les contrats au cachet porteront sur une période minimale (sans volonté de fraude: simplement parce que le travail nécessité en dehors de cette période est quasi inquantifiable cfr convention collective supra), et le nombre de jours obtenu par transformation dépassera évidemment ladite période d'occupation.
L'Onem le reconnaît quasi explicitement"le cachet s'explique par l’absence de lien direct entre le nombre d’heures de travail et la rémunération" (ce point est donc acquis).
Mais, manque de cohérence, il renvoie du même coup l'artiste dans la m... Puisque le temps de travail nécessité en dehors de la période d'engagement dans un travail professionnel rémunéré ne peut en principe être cumulé avec une allocation d'attente: la lettre A devrait être apposée dans la case de la carte de pointage de chaque jour où l'artiste a été rendu indisponible sur le marché du travail du fait de ce travail nécessaire, mais hors période d'engagement ... et pour la plupart des artistes qui ne sera jamais couvert entièrement par le cachet qu'ils auront réussi à négocier !


Ce dispositif appliqué aux artistes musiciens et de spectacle par l'Onem ne repose en fait sur aucune base légale. Ce n'est pas une découverte ... Et le nombre de circulaires de l'Onem en 2011 relative aux artistes au chômage renforce l'urgence d'une clarification et d'une mise en cohérence des textes réglementaires.


Afin de mettre un terme à l'insécurité juridique et sociale des artistes au chômage, en attente ou non de l'ouverture de leurs droits à une allocation, le législateur doit donc traiter EN MÊME TEMPS les questions suivantes:
  • l'extension de la notion de cachet pour prestation à tous revenus du travail (artistique, intellectuel, créateur ?...), en ce y compris ceux provenant de la vente du produit direct de ce travail, quand ces revenus sont transformés en salaires (afin que l'Etat perçoive les cotisations ad hoc) via une structure tierce;
  • la transformation d'un revenu en équivalent jours de travail;
    • la définition du public-cible de cette mesure (pour les seuls artistes de spectacle ou pour tous les métiers de la création);
    • la définition et le statut de la période d'occupation associée à un engagement au cachet, et sa relation avec la prestation proprement dite;
    • le champ d'application: seulement pour l'admissibilité ou chaque fois que le nombre de jours de travail sert de base de calcul;
    • une définition claire des éventuels seuils et plafonds;
  • le statut du travail non rémunéré, nécessité par une prestation au cachet, mais situé en dehors de la période d'occupation contractuelle, eu égard à la question des activités "autorisées" et du cumul avec une allocation journalière d'attente ou de chômage.
Cela est d'autant plus urgent que les interprétations de l'Onem risquent fort de diverger entre Régions dès la régionalisation prochaine de ses compétences !

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