mercredi 14 décembre 2011

Trop de théâtre(s) ? (bis)



Quelques citations dans l'ordre chronologique (et j'aurais pu remonter bien plus loin dans le temps !) ... Dommage que je ne retrouve plus la délicieuse métaphore du sylviculteur Richard Miller sur les branches mortes à élaguer !

(voir aussi: https://sites.google.com/site/renaudvancamp2actualite/)
  • N'y a-t-il pas trop de théâtres subventionnés ? (Marie Baudet et Guy Duplat - 21/01/2005)
  • Michel Kacenelenbogen, co-directeur du Public, entend surtout aborder un point épineux : la distribution des subventions publiques aux théâtres, disproportionnée, selon lui, par rapport à leur fréquentation. "A Bruxelles, 80 % de la subvention concerne des théâtres qui accueillent moins de 15 % des spectateurs", déclare le fondateur du Public,  (in Le Soir du 07/06/2007)
  • A Bruxelles, trois théâtres font 80 % des spectateurs, le Public, les Galeries et le Parc. Le Public seul représente un quart des billets vendus. Malheureusement pour nous, faire du monde est assimilé à du clientélisme ! Notre subvention se monte à 750.000 euros alors que le National reçoit six millions d'euros, se plaint Kacenelenbogen.  (dans le même article, cfr supra)
  • L’avenir du théâtre est-il encore serein à Bruxelles, n’y a t-il pas trop de théâtres pour une même ville ? (tele-Bruxelles, le 20/10/2010)
  • En communauté française, 90 % des subventions concerne 10 % des spectateurs. Je ne juge pas cette réalité, je la constate. (Michel Kacenelenbogen, in Le Soir du 14/09/2011)
  • Par contre, il y a de nombreux théâtres d'avant-garde, qui s'adressent tous à un même public restreint de spectateurs avertis.  (Michel Kacenelenbogen, in Le Soir du 14/09/2011)
  • Je ne veux pas de théâtres réservés à une caste ou à une élite.[...]Le taux de fréquentation de nos structures est l’un des critères permettant d’apprécier les dynamiques d’une institution prévus par le décret sur les Arts de la scène. Ce n’est heureusement pas le seul facteur d’évaluation, mais cela ne signifie pas que j’y suis indifférente. (Fadila Laanan, Ministre de la Culture, 14/11/2011)


Loin de moi l'idée de laisser entendre que Michel Kacenelenbogen écrit les discours de la Ministre !
Mais ses interventions de 2007 laisse clairement entendre dans quelle perspective la question est remise sur le tapis, par lui (09/2011), avant de l'être par la Ministre (11/2011).

Une première remarque: la Ministre de la Culture est mal renseignée ou manque de nuances, le Décret sur les arts de la scène prévoit en fait que, pour une demande de renouvellement, "et compte tenu de la spécificité du
demandeur, ce descriptif [de l'activité des trois années au moins précédant la demande] comprend notamment l'évolution du volume d'activité et de la fréquentation annuelle ainsi que l'évolution des recettes et de la billetterie le cas échéant et le volume d'emploi, notamment artistique, généré par l'activité;" (c'est moi qui souligne).
Le législateur savait très bien 
- qu'un taux de fréquentation ne veut rien dire (comment comparer un spectacle à 5 représentations dans une salle de 60 places, remplie = 100% de taux de fréquentation, et un spectacle à 25 représentations dans une salle de 400 places aux 3/4 remplie = 75% de taux !);
- que le travail de médiation et sensibilisation des publics s'évalue dans le temps !

Une deuxième remarque: si l'on prend la question de la sensibilisation des publics, dans la perspective de la démocratisation de la culture et de l'accès de tous les publics, certes l'évolution quantitative peut être évaluée, mais l'évolution qualitative des publics (diversité culturelle de ceux-ci, caractéristiques socio-démographiques et économiques, etc.) doit, elle, être évaluée.
Le législateur a également prévu que ce bilan repose sur trois pieds: activités, fréquentation et recettes de billetterie, volume d'emploi, et qu'il soit tenu compte de la spécificité du demandeur ! Cela relativise et complexifie singulièrement la question du taux de remplissage des théâtres !

La notion même de taux de fréquentation est utilisée à mauvais escient (méthodologie statistique): ce que vise Michel Kacenelenbogen et Mme la Ministre, c'est le volume de spectateurs par structure, éventuellement pondéré (au pro rata) du volume d'activités (par nombre de spectacles ou de représentations ?) et/ou de la jauge (totale ?) des salles de la structure. On pourrait éventuellement parler d'un "taux de remplissage" ... ce qui est loin d'être la même chose.
Pour un taux de fréquentation, l'on prendra pour référentiel le volume total des spectateurs potentiels différents d'un territoire donné (Bruxelles +/- 1Million de personnes - les enfants en bas âge et les personnes immobilisées dans un home, une prison, etc.). On dira par exemple: en 2011/2012, x% de la population bruxelloise entre 18 et 75 ans va une fois au moins au théâtre Le Public !
... Ce qui suppose de pouvoir identifier quand un spectateur = une personne et quand une personne = plusieurs spectateurs (la même personne est venue plusieurs fois au théâtre). Nous sommes loin de pouvoir identifier le rapport de ces deux variables (spectateurs, personnes allant au théâtre) ! 

Or la question est pour le moins cruciale de savoir si un théâtre gère un stock à rotation faible de personnes multispectatrices de ses spectacles (accent mis sur la fidélisation) ou si il préfère mettre l'accent sur la dynamique des flux (avec la prise de risques que cela suppose de diversifier en permanence ses publics). Je laisse à la Ministre socialiste de la Culture, qui parle de caste - à juste titre, mais sans doute pas dans le sens où on l'entendra communément -  le soin de se demander si cette question n'est pas plus importante que celle de savoir si la salle est remplie ou non !

Enfin, il serait judicieux que les Pouvoirs Publics, et les théâtres (j'excepte le Théâtre de Poche, "qui fait le job" !), se demandent sérieusement si leur programmation (la fameuse ligne Maginot artistique), leur marketing, et donc leurs publics reflètent sensiblement et intelligemment les diversités culturelle et sociale de Bruxelles !


Pourquoi ce débat est-il systématiquement d'année en année forclos sur Bruxelles ? A priori, un théâtre dont les salles sont sous-peuplées (si cela existe, bien sûr), isolé sur un territoire (sans concurrence, donc) devrait poser autant de questions (sur la direction de la structure plutôt que sur la pertinence de l'existence de l'infrastructure) sinon plus que celle du taux de remplissage des théâtres dans un contexte hautement concurrentiel. L'on voit bien qu'il s'agit en fait de forcer la promotion d'un critère aux fins d'une redistribution des subsides en temps de vaches maigres !

Pour terminer, je lance une idée remixée de Karl Valentin et Claude Semal (je rends homage à mes sources), à destination de tous ces spectacles "à 5 représentations". Vous jouez dans une salle de 100 places ... Vous allez consacrer 2.500€ à votre promo, sans garantie de résultats ?... Contentez-vous d'un "buzz" sur Facebook où vous offrirez 5€ à chaque spectateur ... Votre salle sera remplie à chaque représentation, pour le même coût. Et vous rejoindrez le top des taux de remplissage, en damant le pion aux meilleurs ! Et comble d'ironie, vous aurez enfin un "vrai public", diversifié et imprévisible ! ... Et plus personne n'entrera gratuitement ...

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